Quand l'individu joue mieux à plusieurs
La "Fouloscopie"
Mehdi Moussaïd fait de la « fouloscopie ». Il n’a rien du spécialiste des foulures. Sinon j’aurais écrit qu’il fait de la médecine. Ou qu’il est rhumatologue. Ou orthopédiste à la rigueur.
Non, la « fouloscopie » c’est l’étude du comportement des foules.
- Les interactions physiques : mouvements des supporters autour d’un stade (et le dernier Real-Liverpool alors?) ou des voyageurs dans les couloirs du métro, les comportements de panique…
- La propagation des comportements : diffusion d’une rumeur, buzz sur les réseaux sociaux. On parle de « contagion sociale »; c'est à dire grosso modo « l’épidémiologie » des informations. (L’épidémiologie tout le monde voit ce que c'est maintenant...)
- L’intelligence collective : façon dont la foule prend une bonne décision (ou rédige une encyclopédie - on parle de Wikipedia pour ceux qui sont mal réveillés).
C’est ce dernier axe prometteur qui nous intéresse aujourd’hui.
La question que s’est posée Mehdi Moussaïd est la suivante :
Est-ce que la foule joue mieux aux échecs que la moyenne des gens qui la composent ?
Protocole expérimental
Il a monté une expérience mettant face à face une foule de joueurs d’échecs plus ou moins expérimentés et une intelligence artificielle. Près de 25.000 personnes ont participé à l’expérience.
Les joueurs déclaraient leur niveau sur une échelle de 1 (débutant) à 5 (ceinture noire).
A heure fixe, la foule devait voter parmi une série de mouvements possibles celui qui lui semblait le plus pertinent. La partie progressait en « jouant » l’option majoritaire. Le protocole expérimental prévoyait que le niveau de l’IA progressait de 1 à 5 pendant le déroulement de l’expérience. C'est à dire que l'adversaire passait de papoose (mignon mais inoffensif) à Grand Chef à Plumes ("Y connaît pas Raoul ce mec ! Y va avoir un réveil pénible").
Dans certaines parties, les joueurs pouvaient suivre un sondage présentant, sur la partie en cours, la répartition des votes déjà soumis. Le dernier à poser son option voyait donc la répartition de toutes les options retenues par les joueurs l’ayant précédé dans le vote.
Résultats :
Si la foule est « individuellement » un joueur de niveau 2 (moyenne des niveaux de chacun des membres), elle devient collectivement un joueur de niveau 4,5.
Le sondage amplifie cette tendance : le taux de victoire de 64% sans sondage passe à 77% avec sondage. Il y a un effet positif de la majorité.
On peut donc statuer:
Oui, la foule joue mieux aux échecs que la moyenne des gens qui la composent !
Enseignements
1 - Comment comprendre cet effet positif de la majorité ?
Expérience de pensée: demandons aux enfants d'une classe de grande section de maternelle de sommer 2 et 3. Quelques enfants ont déjà appris à compter. Ils vont répondre correctement "5". Les autres, n’en savent rien et vont répondre tout le reste : "1"," 2", "1000" ou même "caca-boudin".
Intéressant ? Bof.
Dit autrement : il existe plusieurs façons de se tromper. Mais en maths, et aux échecs, il n’existe qu’une façon d’avoir raison. Parmi tous les choix sur lesquels votaient les joueurs d’échecs, un seul était « meilleur » que tous les autres. Donc le vote qui recueille le plus de vote sera en général le « meilleur ». Et s’il y a plus de votes qui ne choisissent pas le « meilleur », ceux-ci seront répartis sur davantage d’options différentes, chacune minoritaire.
2 – pourquoi le sondage a eu cette influence ?
L’expérience propose un cas de vote séquentiel. Le premier joueur influence le deuxième. Les deux premiers influencent le troisième et ainsi de suite. Les premiers votes vont s’amplifier dans le cours de l’expérience (indépendamment de leur qualité). Le chercheur identifie un biais comportemental : les meilleurs joueurs vont avoir tendance à jouer plus rapidement. L’amplification dont il est question profitera aux coups proposés par les plus compétents des participants. Elle mettra en valeur les meilleurs coups, avec l’effet décrits aux résultats : avec sondage, la foule joue mieux que sans.
Limites
Dans les situations piégeuses, la foule s’écroule. En échecs, ces situations sont celles où un gain immédiat à court terme (prendre facilement un pion), conduit à une position très défavorable à long terme. Dans ces cas de figures, la majorité tombe dans le piège, et la foule avec.
Ce cas bien connu existe dans un autre registre, un micro-trottoir dans la rue conduirait vraisemblablement une foule à déclarer Istanbul capitale de la Turquie ou Sydney capitale de l’Australie.
L'expérience révèle que dans ce cas l’intelligence collective a été limitée par ces situations pièges.
Remédiation
Il serait intéressant de voir comment les leçons de l’expérience de Mercier pourrait aider à dépasser les « limites » entrevues ici. Nous en parlions dans ce billet.
Les « meilleurs » pourraient-ils, s'ils avaient la chance d’argumenter leurs positions, propager les meilleures options dans une foule qui enjamberait dès lors les pièges avec gourmandise?
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La vidéo présentant cette initiative :
Le site de Mehdi Moussaïd : http://www.mehdimoussaid.com/